Lors des journées JOPPE 2018, à l’université de Nanterre, sur le thème : « La pédagogie entrepreneuriale vecteur d'apprentissages innovants », nous avons pu entendre les témoignages de deux entrepreneurs :
- Eric Trochon, Meilleur Ouvrier de France et parrain de Ferrandi entrepreneur
- et Audrey Bonneil, Cofondatrice d’Hydropousse.
Leurs expériences ont montré certaines caractéristiques de l'entrepreneur. Peut-on alors transférer ces caractéristiques au sein l'Ecole ?
Faisons un récapitulatif de leurs témoignages (en bleu) et croisons les avec mes observations de classe, en école primaire, depuis 25 ans (en marron).
Pour eux, entreprendre est un état d'esprit, qui fut tabou pendant un moment en France. Cet état d'esprit peut être présent très jeune ou apparaître après. Audrey Bonneil n'est pas issue d'une famille d'entrepreneur. Par contre, elle a eu la volonté de faire autre chose et par conséquent de s'arracher à son milieu naturel. Cette disposition n'est pas aisée pour tous.
A l'Ecole, milieu plutôt fermé et sécurisé, il parait inconcevable de s'arracher à ce cadre. L'Ecole est rassurante, les enfants sont en sécurité dans un lieu bien défini. Même si des sorties existent, elles sont exceptionnelles et elles restent dans un cadre scolaire où les élèves sont momentanément "arracher" à leur classe.
Se lancer dans l'entrepreneuriat ne peut se faire seul. Il faut savoir s'entourer de partenaires (qui peuvent être de la famille) et qui soient complémentaires de vos propres compétences.
Si entreprendre devait s'envisager en milieu scolaire, il serait impératif de développer la coopération au détriment de la compétition. Qu'en est-il dans les écoles de cette approche ?
Pour entreprendre, il est obligatoire d'avoir un plan, des objectifs, des actions à mettre en place. Or, entreprendre ne se passe jamais comme on a prévu et imaginé. Les deux entrepreneurs insistent sur le fait d'être prêt sur ce principe.
A l'Ecole, c'est l'enseignant qui construit le plan de son cours. Est-il envisageable de laisser aux élèves la responsabilité du cours tout en sachant qu'il ne peut aboutir ! Ces deux principes ne semblent pas faire partie de la culture de l'Ecole où la maîtrise non partagée est de mise.
Comme tout ne fonctionne pas comme prévu lorsqu'on est entrepreneur, des échecs existent sur lesquels il faut savoir rebondir (principe de résilience) en se remettant au travail. Il faut s'accorder le droit à l'erreur. Par contre il faut savoir savourer les réussites, lorsque l'on est "en haut de l'Everest".
Le droit à l'erreur est un débat au sein de l'Ecole. Il n'y a pas si longtemps on parlait de fautes. Il n'est pas sûr que l'Ecole aime les erreurs des élèves car elles peuvent renvoyer une image négative à l'enseignant de son travail non achevé. Qu'en est-il également de la valorisation des réussites des élèves ?
Devenir entrepreneur peut faire rêver : grand bureau, hélicoptère, voyages à travers le monde ... Or, nos deux témoins rappellent que la réalité est autre. Etre entrepreneur "c'est avoir les mains dedans". En se lançant dans son projet, il est indispensable de s'investir concrètement et physiquement quotidiennement.
Une véritable pédagogie du projet, où les enfants agissent réellement en vue de réaliser un objet, peut exister, notamment en maternelle, mais cette pédagogie n'est pas systématique. Or, entreprendre, c'est faire, c'est agir et je rajouterai, pour de vrai, c'est à dire agir pour un projet réel qui donne du sens aux compétences développées chez l'élève.
Mais être dans le "faire" ne suffit pas. Il faut savoir tirer les apprentissages de son expérience. Cette disponibilité est essentielle pour faire évoluer ses pratiques et son projet.
Cette approche réflexive de l'action de l'élève en classe semble sous exploitée. Il n'est pas courant dans les pratiques d'enseignant de faire réfléchir l'élève sur ce qu'il fait.
Il semble, en croisant ces quelques caractéristiques entrepreneuriales avec mes observations de classe, que peu de correspondances existent. On peut même parler d'opposition entre :
- Ecole sécurisée et fermée contre Ecole ouverte,
- compétition contre coopération,
- la faute contre le droit à l'erreur,
- la maîtrise contre le lâcher prise,
- exercices contre projet.
- l'action seule contre la réflexion de l'action.
Il est à noter, de mon point de vue, une évolution des pratiques pédagogiques vers ces caractéristiques entrepreneuriales. Cependant, cette évolution ne se fera pas sans le soutien de l'institution scolaire.